Au lendemain des succès électoraux qui avaient porté Hitler au gouvernement de l'Allemagne, les nazis allaient donc pouvoir passer à l'action sachant que leur lutte contre l'homosexualité serait approuvée par une large partie de l'opinion publique.
Et la première grande opération spectaculaire qu'ils entreprirent fut sans nul doute l'assassinat d'Ernst Röhm, qui se vit accusé de complot contre le régime, et qui fut exécuté sur l'ordre personnel de Hitler, soudainement inquiet des ambitions politiques qu'aurait eues son protégé.
Il est cependant à noter que cette crainte ne lui était pas venue spontanément à l'esprit, mais qu'elle lui avait été plutôt soufflée par son entourage, jaloux de la faveur dont jouissait Ernst Röhm, le chef d'état-major de la puissante SA dont les pouvoirs ne cessaient de croître, ce qui lui valait de nombreuses inimitiés, et entraînait ainsi de multiples calomnies que, longtemps durant, Hitler s'était obstiné à faire taire.
Mis très tôt au courant des tendances homosexuelles d'Ernst Röhm, il avait fait savoir, par une circulaire du 3 février 1931, que "toutes ces attaques portaient, la plupart du temps, sur des faits étrangers au cadre du service, émanant de plus d'adversaires politiques ou d'ennemis personnels".
Lui, en tout cas, "s'interdisait toute ingérence dans la vie privée des chefs et des membres de la SA", rappelant même que "la SA n'était pas une institution religieuse d'éducation pour jeunes filles de bonnes familles", mais "un groupement d'hommes, unis par un même but politique".
Aussi, avait-il conclu, "la vie privée des membres de la SA n'est condamnable que si elle se révèle contraire aux principes et aux devoirs fondamentaux de l'idéologie nationale-socialiste".
Les adversaires d'Ernst Röhm s'emploieront donc à démontrer progressivement à Hitler que la vie privée de son favori nuisait à la réputation du parti, et non seulement parce qu'il affichait trop ouvertement son état, mais aussi parce qu'il avait fait entrer dans la SA de nombreux homosexuels auxquels il avait confié des postes importants.
Ainsi se serait créée une force qui fut présentée à Hitler comme ayant des ambitions politiques que pouvaient appuyer notamment les deux millions d'homosexuels que comptait l'Allemagne.
Un danger qu'il convenait d'écarter au plus tôt !
La décision de supprimer Ernst Röhm fut donc prise par Hitler, qui confia cette tâche à Goering et à Himmler, trop heureux tous les deux de se débarrasser de ce puissant rival. Ils feront alors courir le bruit qu'Ernst Röhm préparait un putsch et, forts de ce prétexte, ils enverront les SS massacrer l'état-major de la SA qui se trouvait réuni dans un hôtel de Bad Wessee. Ce sera la fameuse Nuit des longs couteaux du 30 juin 1934, qui fera plus de deux cents morts, car on profitera de cette opportunité pour régler d'autres comptes... On a sans doute affirmé par la suite que l'homosexualité de Röhm ne fut pas la cause principale de son élimination, et qu'elle ne constitua qu'un prétexte pour éliminer un personnage qui pouvait devenir politiquement dangereux. Au-delà des affirmations divergentes que les uns et les autres ont pu émettre à cet égard, il reste l'"explication" qu'ont donnée eux-mêmes les nazis et qui fit l'objet, le 1er juillet 1934, d'un communiqué officiel de leur bureau de presse : "L'opération d'arrestations offre moralement des images si affligeantes que toute trace de commisération devrait disparaître."
Certains de ces chefs SA s'étaient offert des "garçons de passe". L'un d'entre eux fut surpris dans cette situation écoeurante et emprisonné. Le Führer donna l'ordre d'exterminer sans égards cette peste. Il ne permettra plus à l'avenir que des millions de gens honnêtes soient importunés et compromis par des êtres anormalement constitués. Le Führer donna l'ordre de débusquer spécialement les alliés réactionnaires de ce complot politique.
A midi sonnant, le Führer prononça devant les principaux chefs SA rassemblés à Munich un discours dans lequel il fit valoir son indéfectible alliance avec la SA, mais il proclama en même temps sa résolution d'exterminer et d'anéantir les sujets indisciplinés et désobéissants, tout autant que les éléments asociaux ou morbides…
Il attend du chef de chaque unité SA… qu'il s'offre en modèle de vie dans son unité. Il fit ensuite remarquer qu'il a protégé des années durant le chef d'état-major Röhm contre les attaques les plus dures, mais que les derniers événements le contraignent à placer le salut du mouvement, et donc celui de l'Etat, avant tout sentiment personnel.
Source : Le Triangle Rose, Jean Boisson, Editions Robert Laffont, Paris, 1988.
IIlustrations : (en haut, à gauche) Ernst Röhm, chef de la SA ; (en bas, à gauche) photo extraite du film de Luschino Visconti, Les Damnés (1969).
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