De l'Eldorado au Troisième Reich

DE L'ELDORADO AU IIIe REICH

Vie et mort d'une culture homosexuelle



Introduction

Les troupes alliées qui traversèrent l'Allemagne au mois d'avril 1945 mirent un terme au rêve nazi d'un Reich qui devait durer mille ans. Au cours de ces semaines tumultueuses, la découverte des camps de concentration suscita une extrême répulsion, y compris chez les combattants les plus aguerris. Pour la plupart de ces soldats, les camps de concentration nazis constituèrent le premier témoignage de la nature exacte du régime qu'ils étaient venus combattre.

Parmi les libérateurs de Dachau (un camp situé dans les environs de Munich, construit par les nazis comme prototype de leur système d'extermination) se trouvait un GI de vingt et un ans originaire de New York, nommé Robert Fleischer. Des années plus tard, l'ancien soldat devait se souvenir de cet épisode de sa vie en ces termes :

"Les rues étaient encombrées de squelettes ambulants vêtus d'uniformes rayés. C'est à peine s'ils parvenaient à se traîner sur la chaussée. J'essayai de leur parler mais ils ne comprenaient pas l'anglais. Soudain, j'eus l'idée de leur poser la question suivante :
- Du bist Juden ? (Tu es juif ?)
Un homme hocha la tête.
- Ja, me dit-il.
- Moi aussi, répondis-je.
[Un autre prisonnier] s'approcha de moi... et il se mit à me baiser les mains. Ce geste me bouleversa et je me dis en moi-même : " Comment le monde a-t-il pu faire une chose pareille à des êtres humains ? Qui suis-je pour qu'un homme me baise les mains parce qu'il est libre ? " 1

Parmi les détenus, Fleischer s'était immédiatement mis en quête de ses coreligionnaires, car les nazis étaient notoirement connus pour leur antisémitisme et largement condamnés pour ce motif hors des frontières allemandes. Mais le jeune américain ignorait qu'il existait une autre catégorie de détenus avec lesquels il partageait une affinité supplémentaire, des prisonniers qui, plus de dix ans auparavant, avaient été déportés à Dachau, des prisonniers qui, comme lui, étaient homosexuels.

A mes yeux, le témoignage de Fleischer constitue un formidable exemple a contrario, car il nous rappelle l'invisibilité historique des victimes homosexuelles du régime nazi, une invisibilité qui n'a que très récemment commencé à s'estomper. De même, les propos de Fleischer nous rappellent que les juifs constituèrent la principale cible du dictateur allemand, et ils nous invitent à rechercher la nature des liens qui unissent la persécution des homosexuels et la mise en œuvre subséquente du génocide du peuple juif.Je souhaiterais, cet après-midi, vous fournir une vue d'ensemble des persécutions subies par les homosexuels sous le régime nazi. Pour ce faire, j'aborderai quatre thèmes principaux :

1. Le développement politique et social de l'homosexualité dans l'Allemagne moderne. L'élaboration d'une politique anti-homosexuelle préalable à l'ère nazie, inscrite dans le cadre plus général d'une idéologie d'extrême-droite. Le sort de la culture homosexuelle en Allemagne après l'arrivée au pouvoir d'Hitler.
2. Les convergences et les divergences existant entre la campagne orchestrée par les nazis contre les homosexuels et l'holocauste dont a été victime la communauté juive.

J'espère qu'en dépit de sa brièveté cet exposé vous permettra de mieux saisir certains des aspects les plus complexes de ce sujet ancré dans un terrain historique difficile, un terrain que les homosexuels, les juifs et autres minorités vulnérables à la persécution continuent de fouiller à la recherche d'un exemple de survie, susceptible d'animer nos luttes actuelles. Nos efforts pour comprendre cet épisode de l'histoire ne peuvent s'inscrire que dans le cadre d'une collaboration permanente avec des universitaires, des chercheurs indépendants et les communautés concernées. Je vous invite donc à prendre part à la discussion qui suivra mon exposé.


Emergence d'une minorité homosexuelle (1830 - 1920)

Pour comprendre le sort réservé aux homosexuels sous le régime nazi, nous devons d'abord répondre à deux questions préalables :

1. Comment l'homosexualité était-elle organisée en Allemagne à cette époque ?
2. Et, par extension, quel phénomène les nazis voulaient-ils éradiquer lorsqu'ils déclenchèrent leur campagne de persécution contre les homosexuels ?

Pour la majorité d'entre nous qui vivons en Occident, les homosexuels constituent une minorité culturelle, une catégorie relativement distincte d'individus regroupés selon des affinités sexuelle et sociale, qui affichent des types identitaires et comportementaux particuliers, résident sur des territoires urbains spécifiques, forment des réseaux sociaux et qui poursuivent des objectifs culturels et politiques communs. Bien évidemment, il ne s'agit pas d'une organisation naturelle ou inévitable du désir homosexuel mais plutôt d'une construction propre à la société actuelle.Au cours du siècle précédant l'arrivée au pouvoir des nazis, l'Allemagne connaissait une organisation relativement similaire à cette construction. Entre les années 1830 et 1870, l'industrialisation du pays avait engendré une vaste expansion des centres urbains et des centres de production, nouvellement reliés par un réseau national de lignes de chemin de fer. Coupée des modes de vie traditionnels prévalant dans les communautés rurales plus isolées et plus solidaires, la population croissante de ces nouveaux centres urbains possédait une mobilité et une hétérogénéité favorisant l'émergence de nouveaux regroupements sociaux.2

A titre d'exemple, les fichiers établis par la police pendant cette période indiquent que les lieux de transit et d'interaction anonyme (les gares, les jardins publics, etc.) se multiplient rapidement dans les villes et deviennent des lieux fréquentés par des hommes en quête de rapports homosexuels avec des inconnus. Avec la multiplication de ces types d'interaction, les participants commencent à élaborer des codes sociaux flexibles (s'étendant de subtiles modifications de leur locution et de leur allure vestimentaire à la manifestation de comportements trans-génériques) leur permettant de suggérer leur disponibilité à d'éventuels partenaires, tout en tentant d'éviter d'attirer sur eux l'attention hostile de la culture dominante.Vers la fin du siècle, ces comportements clandestins, risqués et quelque peu aléatoires se développèrent et donnèrent naissance à une subculture de plus en plus distincte favorisée par l'émergence, dans les classes moyennes et ouvrières, d'un accès minimum aux loisirs, et par le développement de territoires commerciaux susceptibles d'héberger, hors du foyer traditionnel, des interactions sociales de grande envergure. Dès les années 1880, les plus grandes villes allemandes comptaient des cafés qui, ici et là, facilitaient les rencontres entre homosexuels et rendaient possible l'existence de réseaux sociaux durables.Bien évidemment, les autorités allemandes ne considéraient pas d'un œil serein cette réorganisation de la sexualité et des genres. Le pouvoir législatif chercha, par exemple, à étendre son contrôle sur le rôle et le comportement des individus de sexe masculin en qualifiant en délits les relations homosexuelles et leur représentation sociale. Après l'unification des états allemands indépendants en 1871, l'arsenal répressif prussien, connu pour sa sévérité, fut étendu et appliqué à toute l'Allemagne.3

Paradoxalement, les textes ne faisaient aucune allusion aux relations homosexuelles entre femmes, une omission qui, loin d'être synonyme de liberté, traduisait en fait le maintien des femmes dans un état d'exclusion à l'égard du marché et des territoires publics inscrits dans une vie sociale et politique dominée par les hommes. La dépendance économique des femmes asservies par leur père ou leur mari, leur confinement aux tâches ménagères, à la procréation et à l'éducation des enfants suffisaient à endiguer l'expression d'un désir lesbien et à détourner l'attention sourcilleuse des législateurs.

En matière de répression, le corps médical allemand eut tôt fait de surpasser les efforts des législateurs. Dans les années 1870, les médecins classaient ceux et celles qui éprouvaient un désir homosexuel soit dans la catégorie des dégénérés congénitaux soit dans celle des psychopathes atteints d'un trouble de la personnalité. En règle générale, cette classification s'appuyait sur une distinction entre les cas d'inversion prétendument innée et ceux dans lesquels le vice était réputé acquis. Pour justifier la sévérité des remèdes adoptés, le corps médical faisait habituellement valoir la perte d'identité sexuelle des patients et la menace d'une possible contagion. Des psychiatres tels que Richard von Krafft-Ebbing et Carl von Westphal ont publié des études confortant ces théories, et proposé des thérapies selon eux plus efficaces en termes de contrôle social que les traditionnelles sanctions judiciaires.4

Comme nous le verrons plus tard, cette approche médicale devait atteindre son paroxysme sous le règne des nazis.Des années 1880 à 1933, les associations religieuses menèrent elles aussi des campagnes concertées de "pureté morale" pour lutter contre des phénomènes qu'elles considéraient comme l'expression d'un vice urbain et d'une décadence : l'avortement, la prostitution, les publications et les divertissements à caractère sexuel, le travail des femmes hors du foyer familial, les relations homosexuelles... bref, les signes d'une évolution sociale et identitaire caractéristique de la vie moderne. Les efforts les plus significatifs déployés dans cette voie sont à mettre au crédit de la Mission Intérieure, une association caritative protestante d'envergure nationale, qui distribuait des tracts, organisait des mouvements de jeunesse, œuvrait contre la réforme de la législation et prônait la castration des délinquants sexuels.5Malgré ces tentatives, la culture communautaire des homosexuels et des lesbiennes continua à se développer, bien que sous une forme précaire, tout au long des années d'avant-guerre. Ce développement était enraciné dans deux évolutions sociales plus globales :

1. L'émergence de la sexualité en général au sein de la population et, plus spécifiquement, au sein de la sphère commerciale.
2. L'irruption des femmes dans les usines et dans le secteur en pleine expansion du secrétariat, une évolution qui, pour la première fois, conférait leur indépendance à un nombre important de femmes de la classe moyenne et de la classe ouvrière.

Au début du XXe siècle, les territoires sexuels, sociaux et intellectuels des homosexuels et des lesbiennes s'étaient étendus aux cafés, aux salons de thé, aux brasseries, aux boîtes de nuit, aux saunas, aux librairies, aux clubs de sport et de loisirs, aux petits hôtels, aux petits immeubles et à quelques quartiers des villes. Dans certains cas, il s'agissait de lieux mixtes où l'accueil allait de la simple tolérance à l'accolade de bienvenue; dans d'autres, il s'agissait de milieux exclusivement homosexuels, souvent dirigés par des patrons eux-mêmes homosexuels. En 1914, Berlin comptait quelque quarante bars homosexuels (y compris quelques établissements fréquentés exclusivement par les lesbiennes), plusieurs journaux homosexuels et de mille à deux mille prostitués. Au début des années 1920, cette évolution avait, dans une moindre mesure, gagné les autres villes allemandes.6

Pour les homosexuels qui, jusque là, n'avaient connu que l'isolement et la confusion, la découverte de l'existence d'une vie homosexuelle urbaine tenait parfois de la révélation. Pour citer le Dr Magnus Hirschfeld, l'un des observateurs homosexuels les plus perspicaces de l'époque, "on voyait des uranistes arriver du fin fond de leur province, pleurant des larmes de joie à la vue de ce spectacle".7 Le sentiment qu'éprouvaient de nombreux homosexuels à l'égard de cette liberté berlinoise transparaissait dans le nom donné à la boîte de nuit homosexuelle qui, des années 20 au début des années 30, avait assuré les beaux soirs de la capitale allemande, un nom qui s'étalait en lettres de néon Art Déco sur la façade de l'établissement : Eldorado. Le nom faisait bien évidemment référence à la contrée mythique que les Conquistadores avaient en vain tenté de découvrir. Et, afin que nul n'en ignore, deux grandes pancartes placardées au-dessus de l'entrée principale proclamaient aux nouveaux arrivants : "Vous l'avez trouvé !"8

Hommes, femmes et politique de l'homosexualité (des années 1860 aux années 1920)

Les premières tentatives d'organisation politique des homosexuels allemands coïncidèrent avec les bouleversements sociaux que nous venons d'aborder. Pour les homosexuels masculins, cette lutte prit d'abord la forme d'un mouvement spécifique visant à substituer au discours médical une vision conférant à l'homosexuel une "identité non pathologique" digne d'égalité sociale.9

A l'inverse, l'organisation des lesbiennes se développa essentiellement dans le contexte plus vaste du mouvement féministe.Dès le début des années 1860, l'avocat et journaliste Karl-Heinrich Ulrichs publia une série de tracts avant-gardistes dans lesquels il définissait les homosexuels masculins comme appartenant à une classe sociale distincte, dotée de besoins culturels, sociaux et politiques spécifiques. Dans ces tracts, l'avocat exigeait également la fin des persécutions. En 1865, Ulrichs déclara : "Je suis un insurgé. Je refuse d'accepter ce qui existe si je pense que c'est injuste. Je me bats pour avoir le droit de vivre à l'abri des poursuites judiciaires et des quolibets. J'engage le public et l'Etat à reconnaître l'amour uraniste au même titre que l'amour dionysiaque congénital".10

La même année, il rédigea en secret une proposition en faveur d'un "Syndicat Uraniste", une société d'entraide destinée aux homosexuels masculins. Deux ans plus tard, dans le cadre sans précédent d'un discours prononcé devant les cinq cents membres de la Société Allemande des Juristes, il exigea publiquement l'abrogation des lois réprimant l'homosexualité. Il fut conspué par l'assistance avant même d'avoir achevé son discours.11

Dans le sillage de ces premiers efforts, un groupe berlinois dirigé par le Dr Magnus Hirschfeld fonda, le 15 mai 1897, le Comité Scientifique-Humanitaire qui donna naissance au mouvement pour les droits des homosexuels, dont on a célébré le centenaire au printemps dernier. Le Comité s'était fixé comme principal objectif l'abrogation du paragraphe 175 du Code pénal du Reich, le texte réprimant les pratiques homosexuelles masculines. Hirschfeld et ses amis défendaient le point de vue selon lequel l'homosexualité représentait une variante innée et inoffensive du genre de l'individu, qui n'avait lieu d'être réprimée par les tribunaux. Le Comité se tourna en particulier vers les sociaux-démocrates dont la plate-forme progressiste semblait constituer un tremplin de réforme idéal. Le Comité œuvra également à informer le public des travaux scientifiques allant dans le sens de ses idées, et encouragea les membres du "troisième sexe" à se respecter en dépit de la pression sociale.12

Cette approche scientifique et politique ne constituait pas la seule stratégie mise en œuvre par le mouvement. Un deuxième groupe berlinois, le Gemeinschaft der Eigenen (ou Communauté des Particuliers) fondé en 1903 par Adolf Brand, écrivain et éditeur bisexuel, insistait sur la nécessité d'une réforme culturelle, et considérait l'homosexualité masculine comme un phénomène relevant davantage de la sphère culturelle que du domaine biologique. Brand fondait son analyse sur la tradition classique et sur la tradition allemande issue des Lumières, considérant l'amitié passionnée comme la pierre angulaire de la vertu masculine, du raffinement esthétique, du développement intellectuel et de la citoyenneté. Les journaux, les salons, les lectures publiques du Gemeinschaft étaient ouvertement opposés à la modernité, conservateurs, nationalistes, misogynes, et critiques à l'égard d'Hirschfeld et de son Comité.13

Dès le début du siècle, le modèle d'organisation mis en place par les homosexuels pour faire évoluer la société et répondre à leurs besoins communautaires gagna progressivement le reste de l'Allemagne. Dans les années 1920, quelque vingt-cinq organisations politiques, culturelles et sociales, se situant pour la plupart à mi-chemin d'Hirschfeld et de Brand, étaient déjà à pied d'œuvre dans le pays. La plus efficace d'entre elles demeure sans conteste la Ligue des Droits de l'Homme (Bund für Menschrechte), un groupe mixte, actif de 1923 à 1933, qui, à son apogée, comptait quelque 48 000 membres.14

Si les femmes participèrent dans une certaine mesure à la mise en place de groupes spécifiquement homosexuels, les lesbiennes politiquement engagées de la fin du XIXe et du début du XXe siècle étaient beaucoup plus souvent concernées par les problèmes liés au féminisme, parmi lesquels la réforme de l'éducation, l'accès au marché du travail et l'obtention du droit de vote. Ces lesbiennes œuvraient au sein d'organisations qui mettaient à profit leur énergie tout en choisissant d'ignorer, en grande partie, leur sexualité.15 Dans un discours prononcé en 1904, la militante féministe Anna Rüling décrivait la situation en ces termes :

"Des débuts du mouvement féministe à nos jours, nombreuses sont les lesbiennes qui ont joué un rôle de premier plan dans de nombreuses luttes... Si l'on considère la contribution apportée par les lesbiennes depuis des décennies au mouvement féministe, il est hallucinant de constater qu'aucune des grandes instances du mouvement n'a jamais levé le petit doigt pour défendre les droits et le statut social de ses militantes uranistes."16

La situation commença à évoluer dans les années 1910-1911 lorsque plusieurs associations féministes ajoutèrent à leur programme des revendications formulées par les lesbiennes, et rejoignirent le Comité Scientifique-Humanitaire et d'autres groupes dans leur lutte contre les projets soumis alors au Parlement, visant à réprimer l'homosexualité féminine.17Les associations homosexuelles et les groupes féministes évoqués jusqu'à présent ont émergé dans le contexte beaucoup plus vaste des réformes sociales engagées en Allemagne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Connu sous le nom de "Lebensbesserenbewegung" (le mouvement pour l'amélioration de la vie), ce phénomène était issu des multiples efforts déployés par la classe moyenne pour répondre directement (c'est à dire par le biais de l'entraide et de la responsabilisation de chacun) à la restructuration de l'identité sexuelle et de la famille, et relever les défis posés par le mode de vie urbain, tels que la pénurie de logements, la médiocrité des conditions sanitaires, le chômage et l'isolement.18Dans "Geschlechtskunde" (Connaissance de la Sexualité), une œuvre monumentale publiée de 1926 à 1930 sous forme de cinq volumes, Magnus Hirschfeld évoque l'ampleur et la convergence de ces efforts :

Ce n'est pas une coïncidence si le mouvement [de jeunesse] Wandervogel et les premiers pensionnats du pays ont été fondés au cours de cette même brève période, période pendant laquelle, sans qu'il y ait pour autant de relation causale, a vu le jour un certain nombre de mouvements revendiquant une approche réformatrice de la sexualité. Nous n'en mentionnerons que [quelques-uns] : la Société pour le Contrôle des Maladies Vénériennes, le mouvement pour la protection des... mères célibataires et des enfants illégitimes... et les pionnières, alors traitées de radicales, qui ont créé le mouvement pour l'émancipation de la femme.19

Hirschfeld lui-même associa cet esprit de réforme aux efforts stratégiques visant à utiliser l'influence de la science et de la médecine au profit des homosexuels. En 1919, il fonda l'Institut de la Science Sexuelle à Berlin, un centre polyvalent d'études et de thérapie sexuelle comprenant une bibliothèque, des archives, un musée et une clinique. Le centre se chargeait également de produire des publications et d'organiser des conférences, auxquelles était accordée une grande publicité. Utilisant l'institut comme tremplin, Hirschfeld devint un sexologue de renommée internationale et le défenseur le plus visible d'Allemagne de la réforme sexuelle et de la tolérance envers les minorités sexuelles.20

La réaction de la droite et la montée des nazis au pouvoir (1920-1933)

La période d'évolution sociale qui permit l'émergence d'une subculture homosexuelle, du mouvement des droits des homosexuels, du mouvement féministe, et du "mouvement pour l'amélioration de la vie" suscita de vives réactions de la part des conservateurs allemands favorables au strict contrôle des minorités sexuelles, politiques, ethniques et religieuses. La Première guerre mondiale, qui provoqua la mort de près de deux millions de militaires allemands et qui se solda par une défaite ruineuse, exacerba les tensions et les extrémismes.

Pour les progressistes, la naissance de la République de Weimar (qui, en 1918, remplaça le régime impérial du Kaiser) fut, dans un premier temps, porteuse d'espoirs, espoirs qui eurent tôt fait de s'évanouir avec la détérioration des conditions économiques en Allemagne. L'hyperinflation qui ravagea le pays entre 1922 et 1923 (suivie du crash de l'économie mondiale en 1929) ajouta le chômage de masse aux problèmes engendrés par la guerre. Tandis que l'Allemagne s'enfonçait dans la crise et les conflits sociaux, les discours politiques réactionnaires anti-socialistes, antisémites, xénophobes et homophobes gagnèrent rapidement du terrain.21

Parmi les organisations qui défendaient cette idéologie d'extrême-droite figurait le parti national-socialiste. Né en 1920 de la fusion de plusieurs groupuscules d'extrême-droite, le parti nazi gagna en visibilité et en agressivité tout au long de la décennie, recrutant des sympathisants parmi la masse d'allemands en quête de solutions radicales aux maux de l'époque. Le "Sturmabteilung" ou "section d'assaut" (connu des allemands sous l'acronyme de SA) recruta directement de jeunes chômeurs, les revêtit d'un uniforme, les nourrit, leur inculqua un sens de la solidarité, avant de les déployer dans des groupes paramilitaires, organisés pour semer la terreur chez ses adversaires politiques et les groupes de minorité.

Les nazis et leurs sympathisants classèrent immédiatement les homosexuels parmi les groupes prétendument responsables de l'instabilité de la société allemande et de la faiblesse de l'Etat. Juif, homme de gauche, réformateur social et militant de la cause homosexuelle, Magnus Hirschfeld devint l'une des premières cibles des nazis. En 1921, lors d'une conférence donnée à Munich, le berceau de l'extrême-droite allemande, Hirschfeld fut couvert d'insultes. Lorsqu'il quitta la salle, le médecin âgé de cinquante-deux ans fut traîtreusement lapidé par une bande de jeunes voyous. Un coup à la tête l'assomma et Hirschfeld, atteint d'une fracture du crâne et saignant abondamment, s'effondra sur le trottoir. De nombreux allemands furent choqués par la nouvelle de cette agression, mais cela n'empêcha pas un journal de Dresde de publier le commentaire suivant :

"La mauvaise herbe ne meurt jamais. Le célèbre Dr Magnus Hirschfeld a été si sérieusement blessé qu'on le disait à l'article de la mort. Aujourd'hui, nous apprenons qu'il se remet de ses blessures. Nous n'hésitons pas à dire qu'il est dommage que cet horrible et éhonté empoisonneur de notre peuple n'ait pas trouvé la fin qu'il méritait."22

Malgré les mises en garde de ses partisans, Hirschfeld poursuivit courageusement ses activités publiques. En 1923, à Vienne, un groupe de nazis fit irruption lors d'une de ses conférences et des coups de feu furent tirés contre lui. Hirschfeld ne fut pas blessé mais, au cours de la mêlée qui s'ensuivit, certaines des personnes présentes furent rouées de coups.23 Tout au long de la décennie, Hirschfeld, l'Institut, le mouvement homosexuel et les homosexuels en général subirent de façon répétée les attaques au vitriole de la presse populaire et des journaux nazis.24

Reprenant les analyses des scientifiques et parfois les conclusions des mouvements homosexuels eux-mêmes, les idéologues du parti nazi décrivaient les homosexuels comme des déviants psychologiques ou biologiques appartenant à une catégorie à part, à une subculture clandestine, à une communauté pseudo-ethnique ou à une cabale criminelle ou politique. Bien évidemment, pour les nazis, chacune de ces catégories constituait une menace de trouble politique ou social. Tout en reconnaissant que, chez certains, l'homosexualité provenait d'une prétendue tare congénitale, les nazis définissaient le désir homosexuel comme une entité fluide, une contagion susceptible d'infecter et de corrompre jusqu'à ceux qui, par nature, n'étaient pas homosexuels.25

Par dessus tout, les nazis étaient convaincus que l'homosexualité bouleversait la hiérarchie et la stricte codification des genres, fondée sur l'agressivité masculine, la soumission de la femme et le devoir de reproduction. Ce dernier élément revêtait une importance particulière à leurs yeux puisqu'il formait la pierre angulaire de la stratégie qui devait leur permettre de rendre sa stabilité à la société et sa toute puissance à l'Etat. Une réponse formelle des nazis aux efforts permanents du Comité Scientifique-Humanitaire en vue de l'abrogation du paragraphe 175 illustre parfaitement ce discours anti-homosexuel (ironie cruelle et peut-être délibérée, cette déclaration fut publiée le jour de l'anniversaire d'Hirschfeld en 1928) :

"Il n'est pas nécessaire que vous viviez, mais il est nécessaire que vive le peuple allemand. Et ce dernier ne peut vivre que s'il est en mesure de se battre. Et il ne peut se battre que s'il conserve sa virilité. Il ne peut conserver sa virilité que s'il fait preuve de discipline, particulièrement lorsqu'il s'agit des relations amoureuses. L'amour libre et la déviance s'opposent à la discipline... Par conséquent, nous rejetons toute forme de lubricité, et en particulier l'homosexualité, car elle nous vole notre dernière chance de libérer notre peuple du joug sous lequel il est tenu aujourd'hui."26

Destruction de la culture homosexuelle et du mouvement homosexuel (1933 - 1936)

Dès leur arrivée au pouvoir au début de l'année 1933, les nazis entreprirent rapidement de transformer cette idéologie en politique nationale et d'élaborer les stratégies permettant de définir les homosexuels comme des êtres inférieurs et le désir homosexuel comme une menace pour la société. Ces objectifs se dessinent nettement à travers une série d'actions entreprises entre 1933 et 1936, qui se soldèrent par l'anéantissement des mouvements homosexuels et de la culture homosexuelle florissante évoquée précédemment.La première de ces actions intervint moins d'un mois après l'accession d'Adolf Hitler au poste de Chancelier. Le gouvernement prohiba les publications à caractère sexuel, y compris tous les journaux homosexuels (même ceux dont le contenu était anodin) et déclara hors la loi les associations militant en faveur des droits des homosexuels. Quatre semaines plus tard, des officiers SS mirent à sac l'appartement du directeur du Comité Scientifique-Humanitaire, Kurt Hiller, qui, tout comme Hirschfeld, était homosexuel, juif et socialiste. Une semaine plus tard, Hiller fut déporté au camp de concentration d'Oranienburg, où il fut torturé à maintes reprises avant d'être libéré par inadvertance neuf mois plus tard.27

La campagne visant à détruire le mouvement homosexuel et à éliminer l'imagerie homosexuelle débuta le 6 mai par l'irruption d'une centaine d'étudiants nazis dans l'Institut de la Science Sexuelle de Magnus Hirschfeld, qu'un théoricien du parti qualifia plus tard de "dépotoir et de terreau à vermine sans équivalent".28 Les étudiants s'emparèrent de la bibliothèque et des archives qui, dans la nuit du 10 mai, allèrent rejoindre les livres "non-allemands" sur le gigantesque bûcher allumé devant l'opéra de Berlin. Un buste grandeur nature d'Hirschfeld fut également passé par les flammes. Si Hirschfeld lui-même échappa à l'arrestation, c'est tout simplement parce qu'il se trouvait à l'étranger pour une série de conférences. Quelques jours plus tard, Hirschfeld put voir les images de la conflagration dans une salle de cinéma parisienne. Il eut alors le sentiment, en regardant les flammes consumer l'œuvre de sa vie, d'assister à son propre enterrement.29 Il demeura en exil jusqu'à sa mort en 1935.Adolf Brand fut lui aussi inquiété. Entre les mois de mai et de novembre, la police effectua cinq descentes dans sa maison d'édition. Ces raids se soldèrent par la saisie de tous les livres et magazines qu'il avait archivés pendant près de quarante ans. "C'est le travail de toute ma vie qui a été détruit", s'insurgea Brand dans une lettre.30 Mais Brand lui-même ne fut pas arrêté, probablement parce qu'il était marié et qu'il n'était ni juif ni socialiste - et, peut-être, grâce à l'intervention d'un protecteur au sein du parti nazi. Il demeura à Berlin et fut tué avec sa femme au cours d'un bombardement allié en 1945.31

Le printemps et l'été 1933 coïncidèrent avec l'extension de cette offensive aux territoires sociaux des homosexuels. Les bars et les boîtes de nuits qu'ils fréquentaient furent attaqués par les SA. Parmi les premiers lieux de débauche répertoriés comme foyers de subversion par les nazis figurait le célèbre Eldorado de Berlin, qui demeurait un agréable point de convergence pour une foule bigarrée et cosmopolite de lesbiennes, d'homosexuels, de travestis des deux sexes et de touristes en goguette.32 Le grand et élégant espace de la Motzstrasse rouvrit immédiatement... sous forme d'un bureau de propagande du parti nazi, la façade couverte d'énormes svastikas et d'une gigantesque bannière rédigée en lettres gothiques invitant le chaland à voter pour la liste hitlérienne aux élections parlementaires. La croix gammée recouvrait désormais l'inscription qui avait fait la renommée de l'Eldorado : "Vous l'avez trouvé !"33 Pour les homosexuels allemands, l'Eldorado venait d'être brutalement relégué aux pays des rêves...

Pour les nazis, le délit d'homosexualité se révéla une mine d'options stratégiques inépuisable. En juin et juillet 1934, par exemple, la rumeur selon laquelle la SA était gangrenée par les homosexuels servit de prétexte à la violente purge qui permit en fait aux dirigeants nazis de s'assurer la loyauté de l'armée allemande et des milieux industriels et financiers. Cette opération dura trois semaines au cours desquelles des officiers SS exécutèrent Ernst Röhm, le chef de la SA, et son adjudant Edmund Heines, tous deux effectivement homosexuels, et quelque trois cents personnes qui, dans leur écrasante majorité, ne l'étaient pas. Parmi ceux qui furent assassinés pendant ces heures, beaucoup n'avaient commis d'autre crime que celui de s'attirer l'ire mesquine de quelque fonctionnaire SS. Certains furent même exécutés au terme d'une confusion d'identité.34La purge de la SA, souvent appelée "Nuit des Longs Couteaux", est significative à plusieurs titres :

1. Elle marqua le début dans toute la presse d'une campagne d'avilissement des homosexuels, orchestrée par le ministre de la propagande, Joseph Goebbels. Non seulement cette campagne répandit la terreur parmi les homosexuels mais elle aida les nazis à mettre au point les tactiques de manipulation de l'opinion publique qui leur seraient si utiles plus tard dans le cadre de leurs programmes racistes et antisémites.35 Elle montre comment des mesures visant spécifiquement les homosexuels ont pu être utilisées pour intimider et contrôler ceux qui ne l'étaient pas. En effet, tout individu en désaccord avec le Parti courrait le risque mortel d'être accusé d'homosexualité, comme les victimes de la purge des SA.
2. Cette purge marqua le début de la mise en œuvre d'un nouvel instrument politique : le meurtre d'Etat à grande échelle. Parce qu'elle s'appuyait sur des préjugés existant au sein de la population, l'idéologie anti-homosexuelle qui servit de prétexte à la Nuit des Longs Couteaux contribua incontestablement à cimenter l'approbation publique qui entoura l'événement. C'est cette approbation qui incita les nazis à penser qu'ils pourraient, à l'avenir, recourir au meurtre à grande échelle dans les mêmes conditions.

En 1935, lors du premier anniversaire de la mort de Röhm (et peu de temps avant la promulgation des lois antijuives de Nuremberg), le gouvernement nazi adopta une nouvelle législation concernant l'homosexualité masculine. Débordant le cadre des seuls "actes apparentés au coït" réprimés par le paragraphe 175 du code impérial, les nouveaux textes prohibaient les baisers, les enlacements et les fantasmes homosexuels, désormais considérés comme des délits. En raison de l'imprécision de la loi et du caractère capricieux de la jurisprudence nazie, les révisions apportées à la législation facilitaient les poursuites, comme le prouvent les statistiques nationales portant sur le nombre des arrestations. En 1938, 8 562 inculpations furent prononcées contre 948 en 1934. Même si le paragraphe 175 ne concernait pas les lesbiennes, certains cas isolés font cependant état de condamnations. En outre, les femmes étaient occasionnellement poursuivies au titre du paragraphe 176 qui interdisait aux individus bénéficiant d'une position d'autorité d'entretenir des relations sexuelles avec les personnes à leur service.36

Cette distinction légale entre homosexualité masculine et homosexualité féminine s'enracinait dans la conception nazie du rôle et de la libido de chaque sexe, mais également dans une considération sur l'incidence et les conséquences de l'homosexualité selon qu'elle concernait les hommes ou les femmes. La Commission du Code pénal du Ministère de la Justice confirma ces thèses dans une déclaration rédigée en 1935 pour s'opposer aux demandes de pénalisation des relations sexuelles entre femmes :

"En ce qui concerne les hommes [homosexuels], leur fertilité est gâchée ; généralement, ils ne procréent pas du tout. Ce n'est pas vrai pour les femmes ou, du moins, dans les mêmes proportions. Le vice est plus répandu chez l'homme que chez la femme (sauf dans les milieux de la prostitution). En ce qui concerne les femmes, l'homosexualité est également moins évidente, moins visible. Le péril de la corruption par l'exemple est donc moindre... Une des raisons majeures qui nous conduisent à réprimer les relations homosexuelles, c'est la falsification de la vie publique qui interviendra si des mesures décisives ne sont pas prises contre cette épidémie... Si une telle prédisposition n'est pas combattue, du moins ses manifestations peuvent-elles l'être... Ce que nous avons précédemment qualifié de falsification de la vie publique est à peine applicable aux femmes car celles-ci jouent un rôle relativement mineur dans la vie publique."37

Illustrant la manie des nazis pour la systématisation et la centralisation bureaucratique, le gouvernement d'Hitler créa, dans le sillage de la purge des SA, un département spécial au sein de la Gestapo chargé de collecter tous les fichiers d'homosexuels masculins établis par la police locale sur le territoire du Reich, en accordant une attention toute particulière aux personnalités politiques. Fin 1936, cette unité spéciale fut absorbée par le Bureau Central du Reich pour la Lutte contre l'Homosexualité et l'Avortement. Là encore, la double vocation de l'agence indique dans quelle mesure la politique anti-homosexuelle du régime étaient motivée par des considérations démographiques et le désir d'obtenir de tous les adultes aryens en bonne santé qu'ils contribuent, par l'acte reproducteur, à l'accroissement de la Volksgemeinschaft (communauté nationale). Le décret promulguant la création de ce service est sans équivoque :

"Les graves dangers que le nombre encore relativement élevé d'avortements présente pour la politique démographique et la santé de la nation, actes qui constituent un grave manquement aux fondements idéologiques du national-socialisme (de même que les pratiques homosexuelles d'une partie non négligeable de la population qui constituent une grave menace pour la jeunesse) exigent des mesures plus efficaces contre ces fléaux nationaux que celles mises en œuvre jusqu'à présent."38

Les hommes et les femmes homosexuels dans les camps de concentration (1933 - 1945)

Les homosexuels masculins firent partie des premières catégories de détenus envoyées dans les camps de concentration. Les premiers déportés homosexuels ont été internés cinq ans avant le début de la déportation des juifs pour des motifs raciaux.39 Le sociologue Rüdiger Lautmann, qui a effectué les recherches les plus systématiques sur ce sujet, a découvert que, dès 1933, au camp de Fuhlsbüttel, les homosexuels et les souteneurs faisaient l'objet d'une identification spécifique. Dachau a accueilli ses premiers détenus homosexuels dès 1934. Des centaines d'autres arrivèrent à Dachau et à Fuhlsbüttel dans le sillage des rafles organisées avant les Jeux Olympiques de Berlin de 1936. Dans les camps, les homosexuels masculins demeurèrent l'une des catégories de détenus identifiées de façon spécifique jusqu'à la Libération.40

Si, sous le régime nazi, la déportation constituait une menace permanente, son application n'était cependant ni uniforme ni systématique : la majorité des hommes condamnés à cette époque pour délit d'homosexualité semble avoir évité la déportation. Entre 1935 et 1945, on estime que le nombre d'individus de sexe masculin condamnés au titre de la législation réprimant les pratiques homosexuelles se situe entre 50 et 60 000.41

Après examen de la totalité des archives des camps encore disponibles, Lautmann propose quant à lui le chiffre extrapolé de 10 000 déportations environ, un chiffre qui, selon les cas, peut être ramené à 5 000 ou étendu à 15 000 car certains déportés l'ont été au titre de la "détention préventive", sans avoir fait l'objet d'une condamnation.42

Sur la base de ces chiffres, on peut estimer que seul un condamné sur cinq a été, à terme, déporté vers un camp de concentration. Les autres étaient incarcérés dans des établissements pénitentiaires traditionnels. Cette disparité provient sans aucun doute de la distinction établie par le législateur nazi entre les incidents "liés à l'environnement" et ceux liés à une homosexualité "coutumière", concepts largement calqués sur la distinction entre les cas d'homosexualité "acquise" et d'homosexualité "innée" définie par le corps médical allemand.Les nazis considéraient ainsi que de nombreux individus condamnés au titre du paragraphe 175 s'étaient simplement fourvoyés dans une relation homosexuelle. Les autorités pensaient que la sévère discipline d'une prison, les travaux pénibles, la psychothérapie et la castration "volontaire" ou une combinaison de ces diverses méthodes offraient aux délinquants homosexuels une chance de réintégrer la communauté nationale, du moins en tant qu'acteurs de l'effort économique ou militaire, et de rejoindre par ce biais les aryens capables de remplir leur rôle de reproducteurs. Cependant, les récidivistes et ceux qui adoptaient un comportement jugé déviant étaient considérés comme intrinsèquement et résolument homosexuels. Pour ceux-ci, la déportation était plus probable et les chances d'être libérés au terme de leur condamnation plus infimes.43Une analyse similaire du traitement réservé aux lesbiennes dans les camps de concentration n'est pas possible pour deux raisons :

1. Les relations sexuelles entre femmes ne tombaient pas sous le coup des lois nazies. De ce fait, les jugements prononcés par les tribunaux ne nous fournissent pas l'instrument statistique élémentaire permettant de mesurer l'intervention de l'Etat dans ce domaine.
2. Dans leur grande majorité, les lesbiennes déportées dans les camps l'ont été pour des motifs autres que le délit d'homosexualité. A de très rares exceptions près, les lesbiennes ne figurent donc pas dans les registres des camps sous une dénomination les identifiant comme telles.44

Les quelques fragments de documents dont nous disposons attestent cependant de la présence de lesbiennes, parfois dans des proportions significatives, dans un certain nombre de camps. Parmi les femmes ciblées par l'administration nazie en vue de leur déportation figurent les prostituées et les récidivistes déjà incarcérées dans des établissements pénitentiaires traditionnels. Ces deux groupes comprenaient des femmes marginalisées issues de la classe ouvrière et du sous-prolétariat, marquées par une subculture sexuelle fortement liée à la femme masculinisée.45

A titre d'exemple, une résistante française se souvient avoir vu ces femmes au camp de Ravensbrück, en 1943 :

"Il existait, dans une certaine mesure, des relations homosexuelles entre femmes [condamnées de droit commun, asociales et prostituées]. Les femmes d'allure masculine étaient appelées des "Jules" et elles taillaient des croix sur le front de leur "régulière" - nous appelions ça la "croix de vaches".46

Pour les lesbiennes qui ne manifestaient pas de signes extérieurs de masculinité, l'une des stratégies de survie consistait à cultiver un silence de pierre et à éviter toute association avec les détenues homosexuelles, comme cela était déjà le cas pour les homosexuels des deux sexes dans la société allemande de l'époque. Une autre survivante du camp de Ravensbrück (une lesbienne allemande apparemment déportée en raison de ses opinions socialistes) se souvient de son séjour dans les camps entre 1941 et 1942 :

"Mon bloc était surveillé par une femme. Elle me demandait : "Tu veux une cigarette?" J'en ai déduit qu'elle avait d'autres intentions. Mais j'ai refusé tout contact. Je me disais toujours : "Attends que la guerre soit finie". J'étais très prudente."47

Les homosexuels masculins internés comme tels dans les camps n'avaient pas accès à cette stratégie d'invisibilité. Dès la création des camps, les homosexuels masculins durent arborer une marque distinctive sur leur tenue de prisonniers, soit un brassard jaune frappé d'un A majuscule (probablement issu de Arschficker - "baiseur de cul" en allemand), soit de larges points noirs, soit le chiffre 175 (une référence au redouté paragraphe 175 du Code pénal allemand). Au fil des années, le triangle de tissu rose s'imposa comme la marque distinctive des détenus déportés en raison de leur homosexualité.48

La vie dans les camps était extrêmement difficile pour tous les détenus, mais il semble que, la plupart du temps et dans la majorité des camps, les homosexuels masculins ont connu des conditions de vie particulièrement redoutables. Contrairement aux juifs et aux gitans (Sinti et Roms), les détenus homosexuels n'ont jamais fait l'objet de mesures d'extermination systématique dans des camps conçus comme de véritables usines de la mort. Cependant, leur taux de survie dans l'univers concentrationnaire était inférieur à celui de tout autre groupe de prisonniers n'appartenant pas à ces deux catégories raciales. Selon Lautmann, 60% des homosexuels déportés sont morts dans les camps, les trois-quarts d'entre eux au cours de leur première année d'internement, contre 41% pour les prisonniers politiques et 35% pour les Témoins de Jéhovah.49Cette disparité peut être expliquée par des raisons différentes, chacune d'elle illustrant les conditions de vie des homosexuels masculins dans les camps de concentration nazis :

1. Les gardes sélectionnaient fréquemment les déportés homosexuels pour leur faire subir des violences ou leur infliger des tortures. Comme le confirme un ancien déporté de Dachau : "[Les triangles roses] étaient les souffre-douleur des SS. Ils les humiliaient de la pire façon, et leur infligeaient des châtiments corporels à la moindre occasion".50
2. Les homosexuels masculins représentaient souvent à peine plus d'un pour cent de la population totale des camps. De fait, il leur était pratiquement impossible de mettre en place des solidarités, de recourir au marché noir du camp, et d'utiliser le troc permettant d'accéder à de meilleures positions dans la hiérarchie concentrationnaire. Cette situation était exacerbée par le fait que les triangles roses devaient limiter leurs contacts entre eux et avec les autres détenus, car le moindre signe d'amitié pouvait devenir la preuve de leur incapacité à renoncer à leur penchant homosexuel. A l'inverse, les prisonniers politiques et les prisonniers de droit commun, plus nombreux, plus habitués au monde carcéral et aux systèmes idéologiques de solidarité, et plus aptes à se regrouper sans éveiller la suspicion, connurent dans les camps un sort relativement plus favorable. Les homosexuels masculins étaient, du moins dans certains cas, représentés de façon disproportionnée parmi les détenus sélectionnés pour des expérimentations médicales. Eugen Kogon, un détenu politique qui officia comme secrétaire d'un bloc médical à Buchenwald de 1942 à 1945, se souvient, par exemple, que les sujets expérimentaux dans ce camp "étaient généralement des droits communs et des homosexuels, avec parfois quelques prisonniers politiques de nationalités diverses". Il se souvient d'un groupe de jeunes homosexuels auxquels les nazis avaient injecté le typhus et d'autres auxquels on avait fait subir une castration et des implants d'hormone synthétique dans le but d'éradiquer leurs désirs homosexuels.51
3. Les homosexuels masculins étaient affectés, dans des proportions considérablement plus élevées, aux travaux de Kommando les plus pénibles et les plus dangereux, parmi lesquels la carrière à gravier et le rouleau-compresseur de Dachau, la carrière d'argile de Sachsenhausen, les excavations du tunnel de Dora, la carrière de pierres de Buchenwald, et les escouades qui ramassaient les bombes intactes après les raids aériens sur Hambourg. Les hommes affectés à ces Kommandos avaient une espérance de vie inférieure à celle de tous les autres déportés du camp.52

Bon nombre des homosexuels qui ont survécu jusqu'à la libération des camps ont, comme leurs codétenus, rapidement succombé aux séquelles de leur internement. Mais, contrairement aux prisonniers appartenant à des minorités raciales, ethniques, religieuses et politiques, l'arrivée des soldats alliés n'a pas nécessairement mis un terme à leur détention, et la chute du Troisième Reich ne leur a pas apporté de véritable liberté juridique. Les témoignages montrent que, dans certains cas tout au moins, les forces d'occupation alliées ont rendu les déportés homosexuels au système pénitentiaire traditionnel, les considérant comme des délinquants sexuels qui avaient mérité leur châtiment sous les nazis et qui le méritaient encore après la Libération.53

Après la guerre, la plus haute cour fédérale allemande refusa d'abolir les modifications apportées par les nazis au paragraphe 175, fondant sa sinistre argumentation sur la conviction selon laquelle la prohibition des baisers, des caresses et des fantasmes homosexuels n'était pas entachée d'illégalité puisqu'elle "n'était pas représentative de la doctrine national-socialiste".54 La loi à l'origine de la plus épouvantable période de persécution contre les homosexuels qu'ait connue l'Europe moderne resta en vigueur jusqu'en 1967 en Allemagne de l'Est et 1969 en Allemagne de l'Ouest. Injustice suprême (et à la différence de la plupart des autres groupes persécutés) pas un seul des quelque trente homosexuels survivants qui, au cours des dix dernières années, ont trouvé le courage de sortir de l'ombre pour demander réparation n'a reçu le moindre centime du gouvernement allemand.

Conclusion

Comme vous avez pu le constater au cours de ce bref exposé, si les nazis ont fait preuve d'une extrême violence à l'égard des homosexuels, il s'agissait d'une entreprise dont la nature et l'envergure ne peuvent être comparées au génocide organisé contre les juifs. Contrairement aux juifs, les homosexuels n'ont pas fait l'objet d'une identification et d'une déportation systématiques et impitoyables, en Allemagne comme dans les territoires occupés. Contrairement aux juifs, les homosexuels n'ont pas été exterminés en masse dans les camps de la mort. Et, contrairement aux juifs, la majorité des homosexuels, hommes ou femmes, ont trouvé, même s'ils ont dû pour cela vivre dans le silence, le secret et la peur, les moyens de survivre.55

Laissez-moi vous dire, cependant, que l'on peut considérer la mise en œuvre par les nazis de leur politique antihomosexuelle comme une étape à part entière du processus de purification sociale qui a finalement conduit à l'extermination de six millions de juifs. Les mesures prises contre la subculture homosexuelle et le mouvement homosexuel au cours des quatre premières années du régime hitlérien a aidé les nazis a créer une technologie et une bureaucratie de stigmatisation, d'isolement et de persécution de masse. Elles leur ont permis d'utiliser ces instruments contre un groupe social relativement limité et mal défini, déjà en butte aux préjugés populaires, et dont la persécution - contrairement aux juifs - n'attira pas la moindre critique de la part des puissances étrangères ou des factions traditionalistes présentes au sein du gouvernement allemand. 56

Chacune des méthodes utilisées contre les homosexuels entre 1933 et 1936 (y compris la destruction des territoires et des réseaux sociaux et culturels, le musellement des moyens de communication, la déportation d'un groupe méprisé vers les camps de concentration et le recours au meurtre d'Etat à grande échelle), chacune de ces méthodes sera systématiquement mise en œuvre au cours de l'holocauste qui s'abattra plus tard sur les juifs européens. Comme nous l'avons vu, la persécution des homosexuels et le génocide juif ont connu des issues très différentes, mais historiquement leur genèse est intrinsèquement liée.

Au terme de cette réflexion sur les victimes homosexuelles de la barbarie nazie, je dirais qu'il est temps de pleurer tous les individus et toutes les cultures happés par la sombre nuit qui s'est abattue sur l'Europe au cours du siècle dernier. Que nous soyons juifs, homosexuels, handicapés physiques ou mentaux ; que nous soyons prostituées ou sans-abri; que nous appartenions à des groupes raciaux, ethniques, politiques ou religieux marginalisés, nous sommes tous liés par le douloureux souvenir du passé et le regard anxieux et vigilant que nous portons sur l'avenir.

-- fin--

NOTES :

1 Alan Bérubé, Coming Out Under Fire: The History of Gay Men and Women in World War Two (New York City: Free Press, 1990), p. 200.

2 On the social history of homosexuality in Germany in the nineteenth and early-twentieth centuries, see James Steakley, The Homosexual Emancipation Movement in Germany (New York: Arno Press, 1975), pp. 13-16 and passim, and Wolfgang Theis and Andreas Sternweiler, “Alltag in Kaiserreich und in der Weimarer Republik,” in Berlin Museum, Eldorado: Homo­sexuellen Frauen und Männer in Berlin 1850-1950—Geschichte, Alltag, und Kultur (Berlin: Fršlich und Kaufmann, 1984), pp. 49-61.

5, 10, 21.3 See Steakley, pp.

4 See Richard Plant, The Pink Triangle: The Nazi War Against Homosexuals (New York City: Henry Holt, 1986), p. 31f., and Steakley, p. 9f; also see Michel Foucault, The History of Sexuality, Volume I: An Introduction (New York City: Vintage Books, 1980), p. 43.

5 See John C. Fout, “Sexual Politics in Wilhelmine Germany: The Male Gender Crisis, Mor­al Purity, and Homophobia,” Journal of the History of Sexuality, Vol 2, No. 3 (January 1992): pp. 388-421, citation pp. 403-417; on the castration policy, see Geoffrey J. Giles, “‘The Most Unkindest Cut of All': Castration, Homosexuality and Nazi Justice,” Journal of Contemporary History, Vol. 27 (1992): pp. 41-61, citation p. 44.

6 See Magnus Hirschfeld, Berlins drittes Geschlecht (Berlin: H. Seeman, 1904), passim (for edition consulted, see note 7); Steakley, pp. 23f, 27, 78f, and passim; “Sixty Places to Talk, Dance, and Play,” Connexions, No. 3 (Winter 1982): pp. 16-18; Theis and Sternweiler in Berlin Museum, pp. 56-73; and Claudia Schoppman, Days of Masquerade: Life Stories of Lesbians During the Third Reich (New York City: Columbia University Press, 1996), pp. 2-4.

7 Hirschfeld, Berlins drittes Geschlecht; translated from the French edition published as Le Troisième sexe: Les homosexuels de Berlin (Paris: Librairie Médicale et Scientifique Jules Rousset, 1908; reprint Lille, France: Cahiers Gai-Kitsch-Camp, 1993), p. 56.

8 See Ruth Margarete Roellig, Berlins lesbische Frauen (Naunhof-bei-Leipzig: Bruno Gebauer Verlag für Kulturprobleme, 1928); the bilingual German/French edition I have consulted is Les Lesbiennes de Berlin (Lille, France: Cahiers Gai-Kitsch-Camp, 1992), pp. 94ff. Also see Monika Hingst, Manfred Herzer, Karl-Heinz Steinle, Andreas Sternweiler and Wolfgang Theis (eds.), Goodbye to Berlin? 100 Jahre Schwulenbewegung (Berlin: Verlag rosa Winkel, 1997), pp. 127f; this publication includes a 1932 photograph of the exterior.

9 For a critical analysis of this strategy, see Stuart Marshall, “The Contemporary Political Use of Gay History: The Third Reich,” in Bad-Object Choices (ed.), How Do I Look? Queer Film and Video (Seattle, Wash.: Bay Press, 1991), p. 73f.

10 Ulrichs, Karl-Heinrich, Vindicta (1865), reprinted in Karl-Heinrich Ulrichs, The Riddle of Man-Manly Love: The Pioneering Work on Male Homosexuality, vol. 1 (Buffalo, N.Y.: Pro­me­theus Books, 1994), p. 109; translated from the German by Michael A. Lombardi-Nash.

11 On Ulrichs in general, see Hubert Kennedy, Ulrichs: The Life and Works of Karl Heinrich Ulrichs, Pioneer of the Modern Gay Movement (Boston: Alyson Publications, 1988); for Ulrichs's writing and legal activism on behalf of “urnings” in the 1860s, see ch. 4 - ch. 7 passim; also see Ulrichs, The Riddle of Man-Manly Love, which reprints in English translation the complete series of 12 booklets and books on homosexuality that Ulrichs published between 1864 and 1880.

12 On the Scientific-Humanitarian Committee, see Steakley, pp. 23, 33ff; Manfred Baum­gardt, “Die Homosexuellen-Bewegung bis zum Ende der Ersten Weltkriegs,” in Berlin Museum, pp. 17-23; and Manfred Herzer, “Das Wissenschaftlich humanitäre Komitee,” in Hingst, et al., pp. 37-47. For a French primary source on the Committee, see Henri F. De Weindel and F.-P. Fischer, L'Homosexualité en Allemagne, étude documentaire et scientifique (Paris: Librairie Félix Juven, 1908), passim, especially chs. 3, 5, 11 and 16.

13 On Brand and the Gemeinschaft der Eigenen, see Harry Oosterhuis (ed.), Homosexuality and Male Bonding in Pre-Nazi Germany (New York City: The Haworth Press, 1991), pp. 2-8, 245-247, and passim. For a French primary source, see De Weindel and Fischer, pp. 284f

14 See Steakley, p. 82; also see Plant, p. 41, and Schoppman, Days of Masquerade, p. 4.

15 See Lillian Faderman and Brigitte Erickson (eds.), Lesbian-Feminism in Turn-of-the-Century Germany (Weatherby Lake, Mo.: The Naiad Press, 1980), pp. ii-vi, and Steakley, pp. 40-42.

16 Quoted in Faderman and Erickson, p. iii.

17 See Faderman and Erickson, pp. iv-v, and Steakley, pp. 40-42.

18 See Steakley, pp. 24-30. Also see the documentary film by Stuart Marshall, “Desire: Sexuality in Germany, 1910-1945” (1990), in which historians Marion De Ras and Harry Oosterhuis make fairly extensive comments on the “life improvement movement”—particularly the nudist and body culture movements—and its association with the homosexual movement.

19 Quoted in Steakley, p. 24f.

20 On Hirschfeld and the Institute for Sexual Science, see Steakley, pp. 91-92; Charlotte Wolff, Magnus Hirschfeld: Portrait of a Pioneer in Sexology (London: Quartet Books, 1986), ch. 9; and Manfred Baumgardt, “Das Institut für Sexualwissenschaft und die Homosexuellenbewegung in der Weimarer Republik,” in Berlin Museum, pp. 31-33. In addition, see the memoirs of the Insti­tute's clinical director, Dr. Ludwig Lenz, The Memoirs of a Sexologist: Discretion and Indiscretion (New York City: Cadillac Publishing, 1951), especially pp. 397-408; and Christo­pher Isherwood, Christopher and His Kind, 1929-1939 (New York City: Farrar Straus Giroux, 1976), pp. 14-19.

Two primary sources in French also provide significant first-hand accounts of the Institute, along with important photographic documentation: See André Beucler, “Berlin secret, Institut für Sexualwissenschaft,” Voilˆ, vol. 2, no. 55 (April 9, 1932): pp. 6f., and Pierre Najac, “L'Institute de la Science Sexuelle ˆ Berlin,” in Janine Merlet (ed.), Vénus et Mercure (Paris: Editions de la Vie Moderne, 1931), pp. 165-192.

21 For an overview of the post-World War I situation in Germany and of the position of ho­mo­sexuals during the period, see Plant, ch. 1.

22 Quoted in Wolff, p. 198; she does not name the newspaper.

23 For accounts of the 1921 and 1923 attacks, see Wolff, pp. 196-198 and 218, and Steakley, p. 88. Hirschfeld himself describes the harassment he suffered at the hands of the Nazis—including details of the 1921 attack—in an autobiographical sketch published posthumously in Victor Robinson (ed.), Encyclopaedia Sexualis: A Comprehensive Encyclopaedia-Dictionary of the Sexual Sciences (New York City: Dingwall Rock, 1936), pp. 317-321; citation pp. 320-321.

24 See Plant, p. 44.

25 See Marshall, pp. 75-83. Also see Warren Johansson and William A. Percy, "Holocaust, Gay," in Wayne R. Dynes (ed.), Encyclopedia of Homosexuality, vol. 1 (New York City: Garland Publishing, 1990), pp. 546f.

26 Quoted in Steakley, p. 84.

27 For an overview of the Nazis' antihomosexual activities in 1933, see Plant, pp. 50f, 209-211.

28 Rudolf Klare, Homosexualität und Strafrecht (1937); quoted in Steakley, p. 104.

29 Anthropos, no. 1 (1934); quoted in Steakley, p. 105.

30 Quoted in Günter Grau (ed.), Hidden Holocaust? Gay and Lesbian Persecution in Ger­many, 1933-45 (London: Cassell, 1995), p. 34.

31 See Oosterhuis, p. 7

32 For the makeup of the clientele at the Eldorado, see the sources in note 8.

33 See the photographic montage of closed bars published in the Viennese periodical Der Notschrei (May 1933): p. 6. The entire page is reproduced in Hingst, et al., p. 154; also see the caption on p. 155. For another version of the photo, see Schoppmann, Days of Masquerade, p. 3. The latter shows the Eldorado from the same angle and with the same rain-slicked street, but the police officers seen in the Notschrei photo are not present.

34 On Ršhm and the purge of the SA, see Plant, ch. 53. Also see Max Gallo, The Night of Long Knives (New York City: Harper and Row, 1972), passim; Gallo provides a detailed analysis of the factional infighting behind the purge, but little discussion of the role of antihomosexual ide­ology in the event.

35 On the propaganda campaign, see Hans-Georg Stümke, “From the ‘People's Conscious­ness of Right and Wrong' to ‘The Healthy Instincts of the Nation': The Persecution of Homosex­uals in Nazi Germany,” in Michael Burleigh (ed) Confronting the Nazi Past: New De­bates on Modern German History (London: Collins and Brown, 1996), pp. 154-166; citation pp. 157f.

36 On the revisions to ¤175, see Plant, pp. 69, 110. For the arrest statistics, see Stümke, p. 160. On the situa­tion for lesbians, see “Lesbians in the Butzow Concentration Camp,” Con­­nex­ions No. 3 (Winter 1982), p. 17, and Schopp­mann, Days of Masquerade, pp. 20f. In a more recent book on lesbians in Austria during the Nazi period, Claudia Schoppman also documents cases in which women were prosecuted under ¤129Ib, the section of the pre-Nazi Austrian criminal code that prohibited female homosexual acts; see Verbotene Verhältnisse: Frauenliebe 1938-1945 (Berlin: Querverlag, 1999), passim.

37 Quoted in Schoppman, Days of Masquerade, p. 16.

38 Quoted in Stümke, p. 159. On the Gestapo department and the Reich Central Office, see Stümke, pp. 158f.

39 See Falk Pingel, "Concentration Camps," in Israel Gutman (ed.), Encyclopedia of the Hol­ocaust, vol. 1 (New York City: Macmillan, 1990), p.311.

40 On homosexual men in the camps, see Rüdiger Lautmann, “The Pink Triangle: The Per­se­cu­tion of Homosexual Males in Concentration Camps in Nazi Germany,” in Salvatore J. Licata and Robert P. Peterson (eds.), Historical Perspectives on Homosexuality (New York City: Ha­worth Press/Stein and Day, 1981), pp. 141-160; Rüdiger Lautmann, “Gay Prisoners in Con­cen­­tration Camps as Compared with Jehovah's Witnesses and Political Prisoners,” in Mi­chael Ber­enbaum (ed.), A Mosaic of Victims: Non-Jews Persecuted and Murdered by the Nazis (New York City: New York University Press, 1990), pp. 200-206; and Grau, part 4.

A number of memoirs and oral histories of homosexual male survivors also have been published, especially in the past 20 years. For book-length accounts, see Heinz Heger (pseudonym of Josef Kohut), The Men with the Pink Triangle (Boston: Alyson Publications, 1980), the memoirs of an Austrian ho­mo­sexual who survived six years in Sachsenhausen and Flossenbürg; and Pierre Seel, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel (Paris: Callman-Lévy, 1994), the memoirs of an Alsatian interned in the Schirmeck-Vorbrüch camp. For examples of shorter texts, see the testimonies of Karl B., David F., Jacob K., Karl Lange and Friedrich-Paul von Groszheim, all collected in Lutz van Dijk, La Déportation des homosexuels, onze témoignages, Allemagne, 1933-1945 (Montblanc, France: H&O Editions, 2000). In addition, three widely distributed documentary films have presented survivor testimonies: See Marshall's “Desire” (1990); Elke Jeanrod and Josef Weishaupt_(directors), “We Were Marked With a Big ‘A'” (Norddeutscher Rundfunk, 1990); and Rob Epstein and Jeffrey Friedman (directors), “Paragraph 175” (Telling Pictures, 2000).

41 See Plant, p. 149.

42 See Lautman, “The Pink Triangle,” p. 146. Some critics suggest that Lautman's figures may be too conser­vative; for a discussion, see Johansson and Percy, pp. 548-550.

43 See Grau, p. 6f. Also see Marshall, p. 83f, and Johansson and Percy, p. 549.

44 For the rare cases of lesbians interned as such and for camp records mentioning les­bi­an­ism, see Schoppman, Days of Masquerade, pp. 20-23.

45 On lesbians in the camps, see Schoppmann, ibid. Also see Plant, pp. 114-116; "Marte and Olga in Berlin,” Conexxions, No. 3 (Winter 1982): p. 18; Fania Fénelon (with Marcelle Routier), Playing for Time (New York City: Atheneum, 1977), pp. 142-151, 198-201, 212-222; and Vera Laska (ed.), Women in Resistance and the Holocaust (Westport, Conn.: Greenwood Press, 1983), pp. 22-25.

46 Quoted in Anton Gill, The Journey Back from Hell: Conversations with Concentration Camp Survivors—An Oral History (New York City: Avon Books, 1988), p. 327.

47 Quoted in Terrie Couch, “The Legacy of the Black Triangles: An American and a German Lesbian Survivor of the Concentration Camps,” Windy City Times, vol. 6, no. 34 (May 9, 1991), p. 19; a shorter version of this article appeared as “An American in West Germany, or Did Lesbians Wear Pink Triangles?” Off Our Backs, vol. 21, no. 3 (March 1991), p. 23.

48 See Lautmann, “The Pink Triangle,” p. 148. Gill, p. 34, sug­gests that the pink triangle was introduced in 1937, but I have seen no other refer­ence to cor­ro­bo­rate this date.

49 See Lautmann, “The Pink Triangle,” p. 147, and “Gay Prisoners,” p. 204

50 Quoted in Lautmann, “The Pink Triangle,” p. 147.

51 Eugen Kogon, The Theory and Practice of Hell: The German Concentration Camps and the System Behind Them (New York City: Octagon Books, 1979; originally published in English in 1950), p. 144. Kogon also described the ex­peri­ments as the lead author of the 1945 report which the Psychological Warfare Div­ision of the Supreme Headquarters Allied Expeditionary Forces prepared in the month after lib­er­ating Buch­­en­wald; this report remained unpublished until 1995. See David A. Hackett (ed. and trans., The Buchenwald Report (Boulder, Colo.: Westview Press, 1995), pp. 71f, 79. On medical ex­periments involving homosexu­als, also see Plant, pp. 175-179.

52 With the exception of the information from Kogon, the analy­sis in this section generally follows Lautmann, “The Pink Triangle,” pp. 147-159. Also see Plant, pp. 179-180.

53 See Plant, p. 181

54 On the court ruling, see Stümke, p. 165; he does not cite the date or caption of the opinion. For the repeals of ¤175, see Plant, p. 181. On reparations, see Stümke, p. 165, and Rex Wockner, “German Parties Demand Payments to Nazis' Gay Victims,” Bay Windows (Oct. 16, 1997): p. 11.

55 The literature on the Holocaust against the Jews is exten­sive. For an introduction to the sub­­ject in English, see, Yehuda Bauer, A History of the Holocaust (New York City: Franklin Watts, 1982), and Martin Gilbert, The Holocaust: A History of the Jews of Europe During World War II (New York City: Henry Holt, 1985).

56 By contrast, these opposition forces initially slowed implementation of the Nazis' antisemitic program; see Bauer, pp. 98ff.


Conférence de Gerard KOSKOVICH. Texte traduit de l'américain par Franck Dennis. Conférence donnée au Centre Multiculturel de l' Université de Californie, Santa Barbara, le 28 octobre 1997. Copyright© 1997 Ray Gerard Koskovich. Toute reproduction interdite sans le consentement écrit de l'auteur. Contacter Gerard Koskovich à l'adresse suivante : PO Box 14301, San Francisco, CA 94114-0301, USA. E-mail : Dalembert@aol.com

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