On ignore toujours dans les livres d'histoire comme du côté des associations de déportés de la dernière guerre mondiale qu'en Alsace et Lorraine, dès l'invasion de 1940, les homosexuels français tombèrent sous le coup d'une loi homophobe issue du code prussien, qui signifia leur expulsion sans jugement, leur incarcération ou leur déportation sans autre forme de procès.
De l'autre côté du Rhin, sept ans avant cette invasion, cette juridiction avait été aggravée dès 1933, un mois après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Les nazis utilisèrent pour la première fois l'homophobie populaire lors de l'incendie du Reichstag, en accusant Van der Lubbe, un fragile jeune homme manipulable, d'être un sympathisant communiste mais aussi, on l'a moins lu à l'heure de la récente ouverture du Reichstag, d'être homosexuel. Lequel Reichstag, s'il n'eut été incendié, aurait, comme l'indiquait son calendrier parlementaire, eu à débattre quelques mois plus tard de l'abrogation de cette loi homophobe, le paragraphe 175, héritée du code prussien, elle qui avait été effacée au milieu du XIXe siècle par le code Napoléon qui avait aboli toute condamnation pénale pour sodomie.
Cette double accusation de la chancellerie nazie – imaginez : un incendiaire du parlement à la fois communiste et homosexuel – permit, par une sorte de "tétanisation" de l'indignation populaire ainsi interloquée, rumeurs comprises, de faciliter la suspension des libertés publiques, des syndicats, des associations et des partis politiques. On ignore encore plus souvent que c'est dès l'avènement d'Hitler et dans un flux identique à celui, ravageur, de l'antisémitisme que les homosexuels et les lesbiennes d'Allemagne puis des pays et régions annexés par le Reich furent raflés, torturés, expulsés ou déportés dans les camps d'internement ou de déportation, (...), dans la banlieue de Berlin, où de nombreux homosexuels périrent. A ce sujet, un dévoilement de plaque en forme de triangle rose y eut lieu le 27 janvier 1999 en présence du gouvernement allemand.
Quant au centre berlinois d'archives et de recherches homosexuelles du docteur Hirschfeld, juif et homosexuel et instigateur du projet de modification de la loi, il fut mis à sac le 6 mai 1933 par les SA. Dans le même temps, les SS récupéraient les fichiers judiciaires et de police. Puis, gravissime, les listes se complétèrent par une délation conséquente. Ce sont sans doute les mêmes qui dénoncèrent les juifs, les opposants à l'ordre nouveau et les homosexuels de leur voisinage.
Comment témoigner de tout cela ensemble ? Pourquoi une tension a-t-elle surgi entre les autres déportés et notre "délégation homosexuelle", chaque année depuis de nombreuses années, lors de la journée nationale du souvenir ? Que signifie ce divorce entre vérité et recueillement, entre histoire et mémoire, quand les derniers témoins, plus de cinquante ans après ces horreurs, ont atteint la limite d'âge y compris de témoigner ? La mémoire ne se sérialise pas. Elle est une, ou elle n'est pas . [...]
La difficulté reste d'obtenir que s'institue, pour être plus forte demain, plus politique et plus pédagogique, une mémoire de toutes les victimes de l'ordre nazi, qu'elles aient été pourchassées en raison de leur religion, de leur handicap, de leur infirmité, de leur appartenance à une minorité ethnique, sociale ou culturelle, ou de leur volonté de combattre un état totalitaire en proie à une folie meurtrière. Aujourd'hui, des témoins, des recherches universitaires, des documents, des documentaires commencent à nous dire l'essentiel des contours non encore exhaustifs de cette histoire trop méconnue. Preuve que nous avons à nommer tous les démons, toutes les tactiques meurtrières et toutes les fragilités d'une histoire européenne, celle que nous avons l'espoir de mieux construire demain.
Source : Article de Jean Le Bitoux, paru dans le quotidien Libération en 1999.
Photo : Jean Le Bitoux, fondateur du Mémorial de la déportation homosexuelle (cliché : Franck Dennis - no copyright).
De l'autre côté du Rhin, sept ans avant cette invasion, cette juridiction avait été aggravée dès 1933, un mois après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Les nazis utilisèrent pour la première fois l'homophobie populaire lors de l'incendie du Reichstag, en accusant Van der Lubbe, un fragile jeune homme manipulable, d'être un sympathisant communiste mais aussi, on l'a moins lu à l'heure de la récente ouverture du Reichstag, d'être homosexuel. Lequel Reichstag, s'il n'eut été incendié, aurait, comme l'indiquait son calendrier parlementaire, eu à débattre quelques mois plus tard de l'abrogation de cette loi homophobe, le paragraphe 175, héritée du code prussien, elle qui avait été effacée au milieu du XIXe siècle par le code Napoléon qui avait aboli toute condamnation pénale pour sodomie.
Cette double accusation de la chancellerie nazie – imaginez : un incendiaire du parlement à la fois communiste et homosexuel – permit, par une sorte de "tétanisation" de l'indignation populaire ainsi interloquée, rumeurs comprises, de faciliter la suspension des libertés publiques, des syndicats, des associations et des partis politiques. On ignore encore plus souvent que c'est dès l'avènement d'Hitler et dans un flux identique à celui, ravageur, de l'antisémitisme que les homosexuels et les lesbiennes d'Allemagne puis des pays et régions annexés par le Reich furent raflés, torturés, expulsés ou déportés dans les camps d'internement ou de déportation, (...), dans la banlieue de Berlin, où de nombreux homosexuels périrent. A ce sujet, un dévoilement de plaque en forme de triangle rose y eut lieu le 27 janvier 1999 en présence du gouvernement allemand.
Quant au centre berlinois d'archives et de recherches homosexuelles du docteur Hirschfeld, juif et homosexuel et instigateur du projet de modification de la loi, il fut mis à sac le 6 mai 1933 par les SA. Dans le même temps, les SS récupéraient les fichiers judiciaires et de police. Puis, gravissime, les listes se complétèrent par une délation conséquente. Ce sont sans doute les mêmes qui dénoncèrent les juifs, les opposants à l'ordre nouveau et les homosexuels de leur voisinage.
Comment témoigner de tout cela ensemble ? Pourquoi une tension a-t-elle surgi entre les autres déportés et notre "délégation homosexuelle", chaque année depuis de nombreuses années, lors de la journée nationale du souvenir ? Que signifie ce divorce entre vérité et recueillement, entre histoire et mémoire, quand les derniers témoins, plus de cinquante ans après ces horreurs, ont atteint la limite d'âge y compris de témoigner ? La mémoire ne se sérialise pas. Elle est une, ou elle n'est pas . [...]
La difficulté reste d'obtenir que s'institue, pour être plus forte demain, plus politique et plus pédagogique, une mémoire de toutes les victimes de l'ordre nazi, qu'elles aient été pourchassées en raison de leur religion, de leur handicap, de leur infirmité, de leur appartenance à une minorité ethnique, sociale ou culturelle, ou de leur volonté de combattre un état totalitaire en proie à une folie meurtrière. Aujourd'hui, des témoins, des recherches universitaires, des documents, des documentaires commencent à nous dire l'essentiel des contours non encore exhaustifs de cette histoire trop méconnue. Preuve que nous avons à nommer tous les démons, toutes les tactiques meurtrières et toutes les fragilités d'une histoire européenne, celle que nous avons l'espoir de mieux construire demain.
Source : Article de Jean Le Bitoux, paru dans le quotidien Libération en 1999.
Photo : Jean Le Bitoux, fondateur du Mémorial de la déportation homosexuelle (cliché : Franck Dennis - no copyright).
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