On entend un sifflement de train, le bruit d'un train roulant dans la nuit. Encore un bruit de sifflement.
Une lumière monte. C'est un train de prisonniers. On en aperçoit juste un angle. Cinq prisonniers sont éclairés. Deux hommes en civil, puis Rudy et Max, et un jeune homme d'une vingtaine d'années, vêtu d'un uniforme rayé, sur lequel est cousu un triangle rose. Un garde marche parmi eux. Il a un revolver.
Un temps.
Rudy : Tu penses qu'ils nous emmènent où ?
Un temps.
Les autres prisonniers regardent au loin. Le garde marche dans le cercle de lumière.
Un temps.
(Il s'adresse au prisonnier qui est près de lui)
Tu as un mandat d'arrêt ?
Le prisonnier ne répond pas.
Max : Rudy !
Un temps.
Rudy et Max se regardent. Ils sont pétrifiés de peur. Rudy tend la main, puis la retire. On entend un terrible cri, de loin. Rudy et Max se regardent, puis se détournent.
Un temps.
Le garde marche dans le cercle de lumière.
Un temps.
Un autre cri.
Un temps.
Le garde marche dans le cercle de lumière. Un officier SS apparaît, le cercle de lumière s'agrandit. L'officier regarde chaque prisonnier. S'arrête sur Rudy.
Officier : Les lunettes (un temps). Donne-moi tes lunettes.
Rudy tend ses lunettes à l'officier. L'officier les examine.
Monture en corne. Intelligentsia.
Rudy : Quoi ?
Officier : (sourit) Lève-toi.
Le garde fait lever Rudy.
Marche sur tes lunettes.
Rudy est debout, pétrifié.
Marche dessus.
Rudy marche sur ses lunettes.
Il s'adresse au garde.
Emmène-le.
Rudy : Max !
Rudy lance un regard Max. Le garde l'entraîne en dehors du cercle.
L'officier sourit.
Officier : Les lunettes.
D'un coup de pied, il repousse les lunettes. L'officier sort du cercle de lumière.
La lumière se resserre.
Max regarde devant lui. Le garde marche dans le cercle de lumière.
Un temps.
On entend un cri. Hors du cercle.
Cri de Rudy.
Max se raidit.
Un temps.
Cri de Rudy à nouveau.
Max essaie de se relever.
L'homme au triangle rose (Horst) va vers Max, il le touche.
Horst : Ne bouge pas.
Il retire sa main et regarde devant lui. Le garde marche dans le cercle de lumière.
Ne bouge pas. Tu ne peux pas l'aider.
Rudy hurle.
Un temps.
Le garde marche dans le cercle de lumière.
Max : C'est pas vrai.
Horst : Si, c'est vrai.
Max : Où nous emmènent-ils ?
Horst : Dachau.
Max : Comment le sais-tu ?
Horst : J'ai déjà été embarqué. Ils m'ont emmené à Cologne pour un film de propagande. Triangle rose en bonne santé. Maintenant retour à Dachau.
Max : Triangle rose ? Ça veut dire quoi ?
Horst : Pédé. Voilà ce que tu portes si tu es pédé. Si tu es juif, une étoile jaune. Engagé politique, un triangle rouge. Criminel, vert. Le rose, c'est le bas de l'échelle.
Il regarde droit devant lui. Le garde marche dans le cercle de lumière.
Rudy hurle.
Max sursaute.
Max : C'est pas vrai.
Un temps.
Ça peut pas être vrai.
Un temps.
Horst : Ecoute-moi. Si tu réchappes au train, tu as une chance. C'est là qu'on vous brise. Tu peux rien faire pour ton copain. Rien. Si tu essaies de l'aider, si tu essaies de t'occuper de ses blessures, ils te tueront. Si seulement tu vois - vois ce qu'ils lui font, - entends - entends ce qu'ils lui font, ils te tueront. Si tu veux sauver ta peau, oublie son existence.
Rudy hurle.
Max : C'est pas vrai.
Rudy hurle.
Horst : Il n'a aucune chance. Il portait des lunettes.
Rudy hurle.
Si tu veux survivre, oublie-le.
Rudy hurle.
C'est vrai.
Horst s'en va.
La lumière entièrement sur le visage de Max.
Rudy crie. Max regarde devant lui et murmure à lui-même.
Max : C'est pas vrai... C'est pas vrai...
La lumière monte.
Le garde tire Rudy à moitié inconscient.
Son corps mutilé saigne. Le garde le soutient.
L'officier apparaît dans la lumière.
Max regarde au loin. L'officier regarde Max.
Max marmonne toujours en lui-même.
Officier : (à Max) Qui est cet homme ?
Max : Je ne sais pas.
Max arrête de marmonner, regarde droit devant lui.
Officier : Ton ami ?
Un temps.
Max : Non.
Rudy gémit.
Officier : Regarde-le.
Max regarde droit devant lui.
Regarde !
Max regarde Rudy.
L'officer frappe Rudy sur la poitrine. Rudy crie.
Ton ami ?
Max : Non.
L'officier frappe encore Rudy sur la poitrine. Rudy hurle.
Officier : Ton ami ?
Max : Non.
Un temps.
Officier : Frappe-le.
Max regarde l'officier.
Comme ça.
L'officier frappe Rudy sur la poitrine. Rudy hurle.
Frappe-le !
Max ne bouge pas.
Ton ami ?
Max ne bouge pas.
Ton ami ?
Max : Non.
Max ferme les yeux. Il frappe Rudy sur la poitrine.
Officier : Ouvre tes yeux.
Encore.
Max frappe le torse de Rudy.
Encore.
Max frappe encore et encore et encore...
Ça suffit.
L'officier pousse Rudy aux pieds de Max.
Ton ami ?
Max : Non.
Officier : (sourit) Non.
L'officier quitte le cercle de lumière. Le garde le suit.
La lumière est sur le visage de Max.
On entend le train rouler dans la nuit.
Sifflement du train.
On entend Rudy gémir et appeler Max. Le nom de Max se mélange au sifflement du train.
Max prend une profonde respiration.
Max : Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. (prend une autre profonde respiration) Six. Sept. Huit. Neuf. Dix.
Rudy appelle Max.
Max regarde fixement devant lui.
La lumière diminue (sur Max) - presque le noir - puis, tout à coup, lumière également sur les trois autres prisonniers.
Un rayon de soleil matinal.
Rudy est étendu aux pieds de Max.
Le garde traverse le cercle de lumière.
Silence.
L'officier entre dans le cercle de lumière. Il regarde Max.
Officier : Debout. (il regarde Max) Attends. (au garde) Emmène-le. (il donne un coup de pied au corps de Rudy, qui roule - il le regarde rouler) Mort.
L'officier s'en va.
Le garde pousse Max avec son fusil.
Ils sortent de la lumière. La lumière baisse sur les prisonniers.
NOIR
Extrait de Bent, de Martin Sherman, adaptation française de Lena Grinda. Editions PERSONA, 1981. Bent a été créé en français le 21 septembre 1981 au Théâtre de Paris. Bent a été créé au Royal Court Theatre de Londres en 1979.
Une lumière monte. C'est un train de prisonniers. On en aperçoit juste un angle. Cinq prisonniers sont éclairés. Deux hommes en civil, puis Rudy et Max, et un jeune homme d'une vingtaine d'années, vêtu d'un uniforme rayé, sur lequel est cousu un triangle rose. Un garde marche parmi eux. Il a un revolver.
Un temps.
Rudy : Tu penses qu'ils nous emmènent où ?
Un temps.
Les autres prisonniers regardent au loin. Le garde marche dans le cercle de lumière.
Un temps.
(Il s'adresse au prisonnier qui est près de lui)
Tu as un mandat d'arrêt ?
Le prisonnier ne répond pas.
Max : Rudy !
Un temps.
Rudy et Max se regardent. Ils sont pétrifiés de peur. Rudy tend la main, puis la retire. On entend un terrible cri, de loin. Rudy et Max se regardent, puis se détournent.
Un temps.
Le garde marche dans le cercle de lumière.
Un temps.
Un autre cri.
Un temps.
Le garde marche dans le cercle de lumière. Un officier SS apparaît, le cercle de lumière s'agrandit. L'officier regarde chaque prisonnier. S'arrête sur Rudy.
Officier : Les lunettes (un temps). Donne-moi tes lunettes.
Rudy tend ses lunettes à l'officier. L'officier les examine.
Monture en corne. Intelligentsia.
Rudy : Quoi ?
Officier : (sourit) Lève-toi.
Le garde fait lever Rudy.
Marche sur tes lunettes.
Rudy est debout, pétrifié.
Marche dessus.
Rudy marche sur ses lunettes.
Il s'adresse au garde.
Emmène-le.
Rudy : Max !
Rudy lance un regard Max. Le garde l'entraîne en dehors du cercle.
L'officier sourit.
Officier : Les lunettes.
D'un coup de pied, il repousse les lunettes. L'officier sort du cercle de lumière.
La lumière se resserre.
Max regarde devant lui. Le garde marche dans le cercle de lumière.
Un temps.
On entend un cri. Hors du cercle.
Cri de Rudy.
Max se raidit.
Un temps.
Cri de Rudy à nouveau.
Max essaie de se relever.
L'homme au triangle rose (Horst) va vers Max, il le touche.
Horst : Ne bouge pas.
Il retire sa main et regarde devant lui. Le garde marche dans le cercle de lumière.
Ne bouge pas. Tu ne peux pas l'aider.
Rudy hurle.
Un temps.
Le garde marche dans le cercle de lumière.
Max : C'est pas vrai.
Horst : Si, c'est vrai.
Max : Où nous emmènent-ils ?
Horst : Dachau.
Max : Comment le sais-tu ?
Horst : J'ai déjà été embarqué. Ils m'ont emmené à Cologne pour un film de propagande. Triangle rose en bonne santé. Maintenant retour à Dachau.
Max : Triangle rose ? Ça veut dire quoi ?
Horst : Pédé. Voilà ce que tu portes si tu es pédé. Si tu es juif, une étoile jaune. Engagé politique, un triangle rouge. Criminel, vert. Le rose, c'est le bas de l'échelle.
Il regarde droit devant lui. Le garde marche dans le cercle de lumière.
Rudy hurle.
Max sursaute.
Max : C'est pas vrai.
Un temps.
Ça peut pas être vrai.
Un temps.
Horst : Ecoute-moi. Si tu réchappes au train, tu as une chance. C'est là qu'on vous brise. Tu peux rien faire pour ton copain. Rien. Si tu essaies de l'aider, si tu essaies de t'occuper de ses blessures, ils te tueront. Si seulement tu vois - vois ce qu'ils lui font, - entends - entends ce qu'ils lui font, ils te tueront. Si tu veux sauver ta peau, oublie son existence.
Rudy hurle.
Max : C'est pas vrai.
Rudy hurle.
Horst : Il n'a aucune chance. Il portait des lunettes.
Rudy hurle.
Si tu veux survivre, oublie-le.
Rudy hurle.
C'est vrai.
Horst s'en va.
La lumière entièrement sur le visage de Max.
Rudy crie. Max regarde devant lui et murmure à lui-même.
Max : C'est pas vrai... C'est pas vrai...
La lumière monte.
Le garde tire Rudy à moitié inconscient.
Son corps mutilé saigne. Le garde le soutient.
L'officier apparaît dans la lumière.
Max regarde au loin. L'officier regarde Max.
Max marmonne toujours en lui-même.
Officier : (à Max) Qui est cet homme ?
Max : Je ne sais pas.
Max arrête de marmonner, regarde droit devant lui.
Officier : Ton ami ?
Un temps.
Max : Non.
Rudy gémit.
Officier : Regarde-le.
Max regarde droit devant lui.
Regarde !
Max regarde Rudy.
L'officer frappe Rudy sur la poitrine. Rudy crie.
Ton ami ?
Max : Non.
L'officier frappe encore Rudy sur la poitrine. Rudy hurle.
Officier : Ton ami ?
Max : Non.
Un temps.
Officier : Frappe-le.
Max regarde l'officier.
Comme ça.
L'officier frappe Rudy sur la poitrine. Rudy hurle.
Frappe-le !
Max ne bouge pas.
Ton ami ?
Max ne bouge pas.
Ton ami ?
Max : Non.
Max ferme les yeux. Il frappe Rudy sur la poitrine.
Officier : Ouvre tes yeux.
Encore.
Max frappe le torse de Rudy.
Encore.
Max frappe encore et encore et encore...
Ça suffit.
L'officier pousse Rudy aux pieds de Max.
Ton ami ?
Max : Non.
Officier : (sourit) Non.
L'officier quitte le cercle de lumière. Le garde le suit.
La lumière est sur le visage de Max.
On entend le train rouler dans la nuit.
Sifflement du train.
On entend Rudy gémir et appeler Max. Le nom de Max se mélange au sifflement du train.
Max prend une profonde respiration.
Max : Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. (prend une autre profonde respiration) Six. Sept. Huit. Neuf. Dix.
Rudy appelle Max.
Max regarde fixement devant lui.
La lumière diminue (sur Max) - presque le noir - puis, tout à coup, lumière également sur les trois autres prisonniers.
Un rayon de soleil matinal.
Rudy est étendu aux pieds de Max.
Le garde traverse le cercle de lumière.
Silence.
L'officier entre dans le cercle de lumière. Il regarde Max.
Officier : Debout. (il regarde Max) Attends. (au garde) Emmène-le. (il donne un coup de pied au corps de Rudy, qui roule - il le regarde rouler) Mort.
L'officier s'en va.
Le garde pousse Max avec son fusil.
Ils sortent de la lumière. La lumière baisse sur les prisonniers.
NOIR
Extrait de Bent, de Martin Sherman, adaptation française de Lena Grinda. Editions PERSONA, 1981. Bent a été créé en français le 21 septembre 1981 au Théâtre de Paris. Bent a été créé au Royal Court Theatre de Londres en 1979.
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